Communauté
Retour18 mars 2025
Jason Joly - jjoly@medialo.ca
Des conférences pour mieux comprendre et lutter contre le proxénétisme

©Jason Joly
L’enquêtrice Romy Verge-Boudreau fait partie de l’Escouade intégrée de lutte contre le proxénétisme.
Dans le but de se réunir et d’échanger entre eux, divers organisations et intervenants lanaudois se sont rassemblés le 12 mars, à Joliette, lors de la journée régionale contre l’exploitation sexuelle. Pour cette troisième édition, plusieurs conférencières aux expériences variées sont venues parler du thème choisi, soit le proxénétisme. Alors que les premières exposaient les actions prises pour lutter contre l’exploitation sexuelle, les autres ont résumé les résultats d’un programme mis en place en partenariat avec d’anciens proxénètes.
Cette journée-conférence a été organisée par le Comité régional en exploitation sexuelle de Lanaudière (CRESL), qui réunit plusieurs collaborateurs et organismes tels que les CALACS Lueur d’espoir et la Chrysalide, Travail de rue Le Trajet et le Milieu d’Intervention et de Thérapie en Agression Sexuelle (MITAS).
Selon Crystale Drainville, du CALACS Lueur d’espoir, le sujet a été abordé sur le plan du proxénétisme cette année puisqu’il s’agit d’un angle peu mis de l’avant. « Nous parlons souvent des victimes d’exploitation sexuelle, mais nous oublions les acteurs de cette problématique, qui sont les clients et les proxénètes », souligne-t-elle. Elle ajoute que ces derniers ne sont plus autant associés aux gangs de rue ou au crime organisé comme c’était le cas il y a quelques décennies. Cette journée régionale a donc permis aux organisations d’échanger entre partenaires. « Le but était de recréer des liens et de voir que nous sommes unis face à cette problématique », indique Mme Drainville.
Dans la région, on remarque d’ailleurs une augmentation des demandes d’aides en lien avec l’exploitation sexuelle. Crystale Drainville reconnait qu’il est parfois difficile pour les victimes qui résident dans des secteurs plus éloignés de venir visiter les organismes, mais que ceux-ci mettent beaucoup d’efforts à soutenir leur clientèle malgré la distance. Est-ce que cette hausse du nombre de dossiers s’explique par le fait qu’il y ait plus d’exploitation sexuelle? Selon Mme Drainville, c’est difficile à dire : « C’est peut-être plutôt parce qu’il y a plus de prévention. »
Des policiers mieux outillés
La journée régionale du 12 mars a été le moment idéal pour accueillir les policières Romy Verge-Boudreau et Josée Mensales. Celles-ci œuvrent en tant qu’enquêtrices spécialisées au sein de l’Escouade intégrée de lutte contre le proxénétisme (EILP) et ont récemment témoigné dans le documentaire La plaque tournante qui porte sur le sujet de l’exploitation sexuelle au Québec.

« Plus nous parlons de cette problématique, plus elle est reconnue » - Crystale Drainville, CALACS Lueur d’espoir
Leur travail les engage à intervenir dans des dossiers liés à cette problématique à l’échelle de la province, mais elles sont également en contact avec des corps policiers de l’Ouest canadien. D’entrée de jeu, Mme Verge-Boudreau avoue que le Québec est un modèle à suivre dans la lutte contre l’exploitation sexuelle puisqu’il s’est donné beaucoup de moyens, autant au niveau législatif que social: « Nous sommes chanceux et privilégiés d’avoir un gouvernement qui y croit. »
Elle constate que les services de police sont aussi mieux formés. Ceux-ci peuvent notamment compter sur divers programmes et conférences afin d’être adéquatement informés et de mieux intervenir dans les dossiers rattachés à cette problématique. « Nous avons vu que le nombre de dossiers, en l’espace de trois ans, avait quintuplé, révèle Romy Verge-Boudreau. Ce n’est pas parce que les victimes viennent plus voir la police, mais plutôt parce que les enquêteurs sont mieux outillés pour reconnaitre les situations. »
Les policiers de l’EILP sont l’exemple même de ce désir de lutter contre l’exploitation sexuelle. Les nombreux dossiers qu’ils traitent leur ont permis de mieux connaitre les modus operandi des proxénètes. Josée Mensales explique par exemple que Toronto est un lieu très apprécié de ces criminels puisqu’il se situe près des frontières américaines. « Avec la faible valeur du dollar, la prostitution est abordable ici. Les lois sont moins sévères qu’aux États-Unis et, en plus, nous sommes considérés comme adultes à 18 ans. Toutes ces raisons font en sorte qu’il y a une demande », énumère la policière.
Les enquêteurs ont aussi travaillé dans des cas de prostitution qui se déroulaient à Calgary et à Edmonton, où se trouvent de nombreux chantiers de construction et d’exploitation de pétrole. Mme Mensales mentionne que « les victimes du Québec composent presque la majorité des cas » qui sont pris en charge dans l’Ouest canadien. « Le climat politique est très rigide et non inclusif. Les trafiquants ont compris qu’ils ont peu de chances de s’y faire pincer, poursuit-elle. Alors quand on se compare, on se console. »
Une expertise provenant d’anciens proxénètes
La journée régionale contre l’exploitation sexuelle a également permis de présenter le programme ACTES. Il consiste en des ateliers pour ouvrir un dialogue avec de jeunes hommes qui sont impliqués, de près ou de loin, dans le milieu du proxénétisme. À travers des discussions, des capsules vidéo et diverses animations, ils sont invités à repérer les « erreurs de perceptions » ou les « distorsions » qu’ils pourraient avoir. Judith Paradis, coordonnatrice clinique de l’organisme PACT de rue, a longtemps œuvré comme travailleuse de rue. Elle observe que les proxénètes ne perçoivent pas l’exploitation sexuelle ou les activités qui y sont rattachées de la même façon. « Il y a beaucoup de discours qui s’apparentent à « la fin justifie les moyens » et « si ce n’est pas moi, d’autres vont le faire » dans le milieu », explique-t-elle.
C’est dans le but de mieux comprendre ce développement de pensées et pour tenter de modifier ces perceptions que le projet ACTES est né. Nathalie Gélinas, agente de programmation, de planification et de recherche à l’Institut universitaire Jeunes en difficulté, est venue présenter les tenants et aboutissants du programme. Celui-ci est destiné à de jeunes hommes contrevenants avec des troubles de comportements sérieux. Les réflexions abordées dans les ateliers ont comme thèmes le consentement sexuel, les stéréotypes et les relations égalitaires, entre autres.
Toutefois, pour mieux s’adresser aux jeunes, cinq « experts de vécus », soit d’anciens proxénètes ou des personnes gravitant autour du milieu, ont participé à l’élaboration des ateliers. « Nous leur avons demandé ce qu’il leur aurait fallu pour qu’ils ne plongent pas dans le proxénétisme », résume Mme Gélinas. Leur collaboration était donc précieuse et l’agente a senti qu’ils avaient « le souci de donner au suivant ».
Douze jeunes hommes ont donc assisté à ces ateliers et les animatrices ont déjà aperçu des résultats intéressants. Alors qu’ils croyaient à la base que l’exploitation sexuelle était un choix, Nathalie Gélinas assure avoir vu une évolution de leur perception sur ce point. De plus, lors de futures rencontres, les participants ont eux-mêmes recommandé de ne pas jouer sur l’empathie. En effet, Mme Gélinas explique que les intervenants tentent souvent de faire réagir les proxénètes en leur demandant s’ils agiraient de la même façon avec un membre de leur famille : « Les jeunes reconnaissent qu’ils se foutent un peu des conséquences que leurs activités peuvent avoir sur les autres. »
Pour la suite du programme, l’agente et les membres de son équipe réfléchissent maintenant à l’élaboration d’un partenariat avec des pairs aidants, pour un accompagnement individuel des jeunes hommes, dans le but de leur faire voir la problématique de l’exploitation sexuelle sous un autre jour.
Commentaires