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Retour04 septembre 2024
Élise Brouillette - ebrouillette@medialo.ca
Des familles-éducatrices réclament de meilleurs services pour leurs enfants
Éducation à la maison
©Photo gracieuseté - L'Action
Des familles lanaudoises qui ont choisi de faire l’enseignement à domicile ont témoigné à L’Action qu’elles sentent que leur réalité est incomprise. Les parents dénoncent que les obligations qu’on leur impose sont lourdes et qu’en contrepartie, ils ne reçoivent pas les services promis.
Les deux enfants d’Anaïs Lauzon-Laurin, résidente de Saint-Charles-Borromée, reçoivent l’enseignement à domicile depuis 2018. Elle a elle-même fait l’école à la maison avant de réaliser des études supérieures en sciences de la santé. Son emploi, tout comme celui de son conjoint, leur permettait de vivre cette expérience qui les rejoignait.
De son côté, Rachel Ferry, résidente de Rawdon, est maman de trois enfants qui sont scolarisés à la maison. Ceux-ci sont âgés de 11 ans, 9 ans et 7 ans.
« Mon mari et moi avons été scolarisés à l’école régulière jusqu’à l’université. Je n’étais même pas au courant que c’était possible au Québec d’enseigner à nos enfants à la maison, je l’ai appris par le biais d’une amie », a raconté Mme Ferry.
Le couple a ainsi réorganisé ses horaires de travail, puisque ce mode d’enseignement correspondait à ses valeurs. « Quand je suis retournée au travail après mon congé de maternité, je me suis rendu compte que le rythme de métro-boulot-dodo n’avait pas de sens, je voulais voir mes enfants et aussi qu’ils se voient entre eux. »
En 2022-2023, pour 336 jeunes scolarisés à domicile, le Centre de services scolaire (CSS) des Samares aurait reçu une subvention de plus de 600 000 $. Toutefois, les familles qui se sont confiées à L’Action jugent que les services garantis par la loi, tels que le prêt de locaux ou de matériel pédagogique, n’ont pas été livrés. « Ma famille a fait une démarche pour connaître les manuels empruntables pour l’an prochain et on ne nous offre que des ouvrages vieux de 20 ans, sans les corrigés », a affirmé Anaïs Lauzon-Laurin concernant le prêt de matériel pédagogique. « Actuellement, on s’organise entre familles. C’est comme si on nous disait : vous avez fait un choix, assumez les conséquences. On ne rentre pas dans le cadre et ça exige un effort pour comprendre notre réalité. »
La maman souhaiterait la mise en place d’une didacthèque centralisée, soit une bibliothèque de ressources contenant, par exemple, des manuels scolaires, des exercices et des corrigés.
Rachel Ferry considère aussi que l’engagement du CSS des Samares au niveau des services n’a pas été respecté. Elle a cité l’exemple des prêts de locaux : « Nous avons eu accès au gym une seule journée, malgré les demandes de plusieurs familles. Il y a des iniquités dans l’application de la loi, dans d’autres régions, les familles peuvent accéder aux locaux chaque mois. » Les parents interrogés ont également rappelé que le nord de Lanaudière est un vaste territoire et qu’une offre de locaux à un seul endroit et à un seul moment ne répond aucunement aux besoins.
L’accès à la bibliothèque est aussi difficile. « J’aurais aimé consulter des copies antérieures afin de préparer mes enfants aux épreuves ministérielles, mais il n’y a pas de collaboration. Nous avons l’impression que nous ne sommes pas reconnus dans notre rôle de parents éducateurs et j’arrivais avec toutes les bonnes intentions », a insisté Mme Ferry.
« Un véritable chemin de croix »
L’un des aspects que les parents interrogés jugent un non-sens est la manière dont les épreuves obligatoires se déroulent pour les jeunes qui sont scolarisés à la maison, tant au primaire qu’au secondaire.
Anaïs Lauzon-Laurin a expliqué qu’en 2018, le gouvernement libéral a mis en place le Règlement sur l’enseignement à la maison (REM). « Celui-ci devait d’une part, assurer au gouvernement que les jeunes ne vivraient pas de négligence éducative et d’autre part, financer les centres de services scolaires et garantir les services rendus aux familles-éducatrices par ceux-ci. Ce règlement a été créé avec la consultation des associations de familles-éducatrices, du milieu scolaire et de chercheurs en éducation via une table de concertation nationale. »
Mme Lauzon-Laurin a poursuivi qu’en 2019, le ministre Jean-François Roberge a modifié unilatéralement le REM pour y ajouter l’obligation de participer aux épreuves ministérielles.
Pour les épreuves obligatoires, les jeunes qui sont scolarisés à la maison doivent se déplacer aux bureaux du centre de services scolaire entre cinq et dix fois et les parents ne sont pas admis.
L’année dernière, l’aînée de Rachel Ferry a dû réaliser les épreuves obligatoires et la maman a alors constaté que la collaboration était difficile avec les différentes instances.
Sa fille s’est ainsi retrouvée dans des lieux inconnus avec des élèves, des enseignants et des méthodes d’évaluation qu’elle ne connaissait pas.
La Rawdonnoise n’a pas pu accompagner sa fille. « Je ne voulais pas lui donner les réponses, seulement être avec elle! »
Sa fille a souffert de maux physiques, de nervosité et de troubles du sommeil.
L’an prochain, deux de ses enfants devront se soumettre à des épreuves et elle les redoute déjà.
« Cela exige aussi des parents de faire le voyagement, parfois deux heures de route, et de manquer une semaine de travail. Ce n’est pas adapté à notre réalité, nous n’avons pas le sentiment d’être entendus. » De plus, Mme Ferry a dénoncé le fait que tout le stress engendré par les épreuves ne serve qu’à des fins statistiques.
En effet, Anaïs Lauzon-Laurin a précisé qu’au primaire, les évaluations ministérielles sont obligatoires, mais ne sont pas prises en compte pour les résultats puisque les jeunes qui sont scolarisés à domicile n’ont pas de bulletin. « La participation n’est qu’une modalité administrative et c’est très lourd pour les familles. »
Aussi, il est ardu pour les parents d’accompagner leurs enfants dans la préparation aux examens, puisque l’accès aux épreuves antérieures leur est refusé. « Ce n’est pas facilitant et il n’y a pas d’ouverture du Centre de services scolaire des Samares de connaître les véritables besoins des familles. On parle d’une séance préparatoire et de sept séances d’épreuves supervisées par deux personnes. C’est beaucoup de ressources investies dans quelque chose que les familles ne veulent pas », a mentionné la Charloise.
À la suite des épreuves, l’élève reçoit une note, mais pas de commentaire ou d’explication. Anaïs Lauzon-Laurin a donc tenté d’obtenir une certaine rétroaction pour son enfant. « On essaie de tirer une valeur pédagogique de ces épreuves obligatoires, qui demeurent un exercice purement réglementaire pour cocher une case. Mais peu de familles font de telles demandes et on devrait avoir ce retour à la fin septembre seulement. »
Un autre des éléments qu’a déploré Mme Lauzon-Laurin est le fait qu’à la fin du secondaire, les élèves qui sont scolarisés à la maison n’ont qu’un seul examen qui fait foi de tout, donc une seule chance de réussir et d’obtenir leur diplôme.
« La sanction des études est un vrai chemin de croix. On voudrait que les sanctions soient équitables et qu’il y ait plus d’une évaluation pour nos jeunes. On n’arrive pas à s’entendre sur les besoins avec le Centre de services scolaire des Samares et on n’arrive pas à parler au ministre ni à avoir de retour. »
Anaïs Lauzon-Laurin souligne que le ministre a le pouvoir de modifier le règlement, et que les familles aimeraient une table de travail sur la sanction des études. « L’Association québécoise pour l’éducation à domicile (AQED), qui représente 1600 familles-éducatrices, a tenté de faire invalider la modification du REM devant les tribunaux. » En raison des délais et faute de ressources, l’association a dû abandonner la poursuite.
De son côté, le couple de Rawdon a même pensé déménager hors du Québec. « On s’est demandé si on voulait continuer notre projet ici où on nous demande de cadrer dans des réalités qui ne nous conviennent pas », a confié Mme Ferry.
Cette dernière a même tenté de faire appel à sa députée, mais elle regrette qu’après une rencontre avec son attachée politique, ses demandes de parler directement à la députée de sa situation aient été ignorées. « Nous sommes traités comme des illégaux, on est pris de haut, comme si nous étions des gens qu’il fallait recadrer, c’est décevant. »
Selon la compréhension de la maman, l’application de la loi bénéficie d’une certaine latitude, mais elle croit que le centre de services scolaire est peut-être rigide dans les méthodes éducatives privilégiées. « Le Protecteur de l’élève a même pris parti pour le CSS des Samares. C’est déplorable. Les enfants dans le système scolaire bénéficient de plus d’ouverture. C’est comme si on était contre eux et qu’ils le prennent personnel. Je ressens du jugement alors que les choses pourraient être différentes. »
Selon Rachel Ferry, le centre de services pourrait dépenser l’argent autrement, en collaboration avec les familles et selon leurs besoins.
Anaïs Lauzon-Laurin souhaiterait d’ailleurs que les familles qui enseignent à domicile aient droit à une représentativité au sein des Samares. « On aimerait que le centre de services dépense les sommes allouées pour nos enfants sur des services que les familles veulent! Ils ont toute la latitude pour le faire, mais ils se mettent des limites, peut-être par manque de ressources ou parce que c’est moins compliqué. »
Au mois de juin, le CSS des Samares a mené un sondage auprès des familles qui font l’enseignement à la maison au sujet des services offerts, mais Mme Lauzon-Laurin a regretté le fait que la majorité du sondage listait des services en lien avec les épreuves obligatoires.
Des demandes ont été faites aux centres de services scolaire du Québec, via l’AQED, afin de savoir comment l’argent reçu pour les jeunes était dépensé. « Il n’y a que 18 centres sur les 70 contactés qui ont accepté de ventiler leurs dépenses. On ne sait pas quel montant est dépensé pour quel service…Si l’argent va pour les épreuves obligatoires, c’est inutile de A à Z. C’est comme si les instances veulent que l’école à la maison soit comme l’école traditionnelle. »
Au niveau de l’AQED, des démarches ont été entreprises afin de rétablir des contacts et de reprendre les discussions avec le bureau du ministre. L’Association est donc en attente d’un retour.
L’Association québécoise pour l’éducation à domicile a réalisé un sondage auprès de ses membres de partout dans la province au sujet des services garantis par la loi et auxquels ils ont droit. Les parents devaient indiquer quels services ils avaient demandés, si les services leur avaient été autorisés ou refusés, ou alors pourquoi ils n’avaient pas fait de demandes de services.
Dans Lanaudière, sur 19 familles, 32 % ont eu au moins un service refusé. Sur 11 demandes liées à la consultation ou à l’emprunt de matériel scolaire, 9 ont été refusées. Concernant les raisons de ne pas demander de services, la lourdeur de la démarche et l’accès trop restreint faisaient partie des principales raisons évoquées.
Invité à réagir, le Centre de services scolaire (CSS) des Samares, via son service des communications, a souhaité apporter les précisions suivantes au sujet de son offre de services aux parents qui ont choisi de faire l’enseignement à la maison.
« Nous appliquons les directives du ministère de l'Éducation et de la Direction de la sanction des études. Cela inclut l'interdiction pour les parents-éducateurs d'assister aux épreuves ministérielles, ainsi que toute forme de divulgation, de partage ou de publication des épreuves. Récemment, le Ministère a renforcé ces consignes en limitant l'accès aux épreuves des années antérieures, même pour les enseignants. Nous respectons ces règles afin d'assurer l'intégrité et l'équité des évaluations pour tous les élèves.
Nous avons à cœur la réussite de nos élèves et offrons un accompagnement aux parents qui choisissent de faire l’enseignement à la maison. Notre offre de services respecte les dispositions réglementaires en vigueur.
Concrètement, les parents-éducateurs peuvent consulter nos spécialistes au sein de notre Centre, qui sont là pour les conseiller et les soutenir dans leur rôle. Ils ont aussi accès à un large éventail de trousses pédagogiques disponibles en ligne (Enseignement à la maison - CSS). »
Le CSS indique aussi que deux ressources essentielles, produites par le MEQ, sont à la disposition des parents-éducateurs :
- Documents d’information : Ces documents fournissent des exemples de grilles d’évaluation, détaillent les contenus évalués lors des épreuves ministérielles, et précisent les conditions d’administration et le déroulement des épreuves.
- Guides pour parents : Ces guides contiennent des informations complètes sur la forme et le déroulement des épreuves, avec des exemples tirés d’épreuves antérieures. Ils sont accessibles sur le site du ministère de l'Éducation (Guides pour parents - MEQ).
En ce qui concerne les locaux, le Centre de services scolaire des Samares a précisé que la croissance soutenue de sa clientèle, conjuguée au nombre important d'enfants en enseignement à la maison, pose des défis logistiques en termes d'espaces disponibles et adaptés pour les activités préparatoires et les épreuves. « Malgré ces contraintes, nous nous assurons de respecter nos obligations réglementaires. Nous offrons des solutions variées, tant sur le plan des ressources matérielles que des soutiens pédagogiques. »
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