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Retour05 juin 2018
Du malaise à la curiosité envers son handicap
Un homme de Joliette devenu quadraplégique à l'âge de 13 ans a vu, au cours des années, les réactions changer face à sa différence
©Photo L'Action - Geneviève Geoffroy
TÉMOIGNAGE. Quand Yves Laurin a été confiné à un fauteuil roulant il y a 44 ans parce qu’il a perdu l’usage de ses jambes et de ses bras, il n’y avait pas de transport adapté, aucune école ne voulait de lui puis les allées des magasins se vidaient et les gens changeaient de trottoir quand il arrivait. Aujourd’hui, même s’il ne fait plus face à ce genre de réactions et que le transport adapté existe, sa différence lui rappelle chaque jour que beaucoup de chemin doit encore être parcouru vers l’inclusion des personnes handicapées dans la société.
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L’homme de Joliette, aujourd’hui âgé de 55 ans, avait neuf ans quand une tumeur maligne a été découverte dans son cou. Il a subi une opération risquée et il a été soumis à 90 traitements de radiothérapie qui ont attaqué son corps et l’ont rendu quadraplégique. À 11 ans, il ne marchait plus et à 13 ans, il ne lui restait que 10% de capacité dans ses bras.
D’enfant hyperactif et sportif – il jouait au hockey et au baseball – qui rêvait de conduire une moto et de travailler dans la construction, il a dû faire face à la dure réalité de ne plus pouvoir faire ce qu’il aimait ni réaliser ce qu’il voulait.
« C’est le cas de le dire : ça m’a coupé les deux jambes. C’est difficile de voir les autres quand toi, tu es en chaise roulante », dit-il.
Malaise
Il a aussi dû faire face à une autre réalité : le malaise des autres par rapport à sa différence.
« À l’époque, j’avais un cousin dont j’étais très proche et lorsque nous sortions au centre commercial, ce ne sont pas des jokes, les allées se vidaient, se souvient-il. Aussi, lorsque je me promenais sur le trottoir, le monde changeait de trottoir et, un coup que j’étais passé, les personnes retraversaient. Ça c’était courant. Ou bien, je lisais mon journal sur le talus devant chez moi, sur la rue Notre-Dame, et il y avait deux femmes, entre autres, qui traversaient soit de l’autre côté de la rue ou dans la rue quand elles arrivaient devant chez moi et retraversaient ensuite. »
Selon lui, ce genre de comportements « était quand même assez courant ».
« Maintenant, ça a bien changé, poursuit-il. On ne voit plus ça. Aujourd’hui, je pense que c’est devenu banal ou peut-être que je ne le remarque plus. C’est, selon moi, passé du malaise à la curiosité. »
Pas adaptée
Faire face à ce genre de réactions était « difficile » pour Yves Laurin, mais, par chance, il ne s’est pas vraiment arrêté à elles parce que, dit-il, il avait « bien d’autres frustrations dans la vie ».
Par exemple, Yves Laurin a été confronté dès le début à une société pas du tout adaptée pour lui.
« Dans le temps, des places accessibles, il n’y en avait pas. Tout était compliqué. Maintenant, l’accessibilité est bien plus présente. J’ai vécu l’époque où il n’y avait pas de transport adapté. Quand j’allais chez le dentiste ou chez l’optométriste ou encore que j’avais à sortir, c’était mon frère qui mettait ma chaise dans son pick-up », se souvient-il.
Exclusion
Il a aussi vécu de l’exclusion.
« L’exclusion, c’est sûr qu’on la vit. Lorsque les démarches ont été faites pour que je retourne à l’école où j’étais, ils ne voulaient rien savoir de moi. Il n’était pas question qu’ils me prennent », raconte-t-il.
Même si quatre autres écoles étaient situées près de chez lui, aucune d’elles ne l’a accepté avec sa différence.
« Je me suis ramassé à Saint-Charles-Borromée parce que le directeur de cette école a accepté de me prendre. C’était vers 1973-74. », dit-il.
Pour se rendre à l’école, le chauffeur d’autobus devait le prendre dans ses bras, l’asseoir dans l’autobus et rentrer sa chaise. C’est d’ailleurs parce que le chauffeur a dû arrêter ces manœuvres qu’Yves Laurin a dû arrêter l’école.
Améliorations
Yves Laurin salue les améliorations réalisées au cours des années pour offrir le transport adapté aux personnes handicapées. Aussi, selon lui, les politiques mises en place et la sensibilité grandissante de la population pour une plus grande accessibilité permettent une meilleure inclusion des personnes handicapées dans la société. Or, il estime que beaucoup reste à faire.
« Le transport adapté c’est contraignant et ça ne laisse pas grande place à l’improvisation, remarque-t-il. C’est à améliorer parce que la mobilité, c’est important. Aussi, je suis allé chez le dentiste récemment et, c’est bien de valeur, mais il n’était pas adapté pour me recevoir. Il a dû arracher ma dent alors que j’étais dans ma chaise roulante. Je crois que les dentistes adaptés à faire face à quelqu’un comme moi, il n’y en a pas vraiment. »
Yves Laurin est en train de faire une démarche auprès de l’Ordre des dentistes du Québec pour s’assurer qu’au moins un dentiste dans la région puisse recevoir des personnes handicapées comme lui.
La Semaine des personnes handicapées se tient du 1er juin au 7 juin 2018.
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